Texte critique à propos du Gisembre et de La Forêt des signes
Presse : publication du 26/05/2017
Description
Jo Ciesla explore, exploite, s’en prend à des matériaux multiples : acier, pierre, verre et bois. Bois brut, brûlé, calciné, bois peint de « Gisembre » l’impressionnante sculpture s’enroule, se replie, dévorée des feux, devenue sacrée de se faire éternelle. Les fagots se font lances ; la sculpture de Ciesla est une puissance incendiée, barbare et en même temps proche de l’art roman. Elle taille de profondes cicatrices, des traces de rages destructrices sur des corps qui ne peuvent respirer d’être liés, entravés, coulés sur planches.
L’artiste donne à toucher, à voir, à sentir les formes de la vie non encore portées à l’air libre, ou encore celles qui ont rejoint le royaume des morts : momies, sarcophages, guerriers attachés, ligotés à leur matérialité. Des oppositions violentent les regards : la pierre brute devient précieuse d’être enserrée dans la forme d’acier architecturée. Un caillou rond, du bois brut, des cercles de cuivre cohabitent, se plantent dans le sol comme des insectes.
De la monumentalité à l’œuvre qui se caresse, Jo Ciesla ne dit pas autre chose que la transmutation de la matière en signes symboliques, repérables car universels. Il rejoint le temps d’hier et celui de demain par le geste de récupération et celui de projection en avant.
Il est évident que chaque œuvre est née d’un cheminement patient, obstiné, d’une réflexion sur le sens de la vie mais aussi d’une convulsion, d’une rétraction, d’une explosion. N’y a-t-il pas chez Ciesla l’émigré le besoin fondamental de manipuler ces restes de vie et d’en faire autre chose ? De les transporter « ailleurs », d’en donner d’autres images ? De suggérer aussi l’interpénétration des temps et des espaces, comme pour montrer la pérennité du projet humain. Car ici tout est symbole et se poétise.
Le feu se charge de la purification et, paradoxalement, de la « concentration » de l’effet, de son implosion. La pétrification du bois par la flamme est acte de grande violence. Elle immobilise à jamais les brandons fantômes d’autres vies et d’autres respirations. La sculpture ne peut pas être anecdotique. Elle est sacralisée, car elle met en forme.
« La Nature est un Temple où de vivants piliers… » : Ciesla est dans une tradition de langage baroque et expressionniste. Sa créativité foisonne au cœur même de la Terre-Mère car il est en osmose avec la nature et la technique. Il veut dire à la fois l’immémorial et demain. Il montre le temps à jamais immobile de la mémoire.

Héliane BERNARD – extrait de la revue d’art MONTRER – juillet 1991